Au Nord de l’Inde, lorsqu’un éléphanteau naît, on l’attache par un pied à un arbre. Il tente vainement de briser la corde. Après quelques semaines, il renonce à la lutte et accepte son sort. On continue donc de mettre une entrave à son pied mais on ne la relie à rien. L’éléphanteau a intériorisé le fait qu’il était enchaîné, il n’essaie plus de s’en aller.
Cette métaphore est souvent utilisée pour symboliser le mécanisme sous-tendant le sentiment d’impuissance apprise. Quand un individu subit une succession d’évènements indésirables sur lesquels il n’a pas réussi à avoir de contrôle, il perd confiance en sa capacité à agir favorablement sur son environnement. Le caractère répétitif des évènements fini par le convaincre de son incapacité, il se résigne et n’essaie plus (comme notre petit éléphanteau). Il en découle un fatalisme et une passivité pouvant parfois « contaminer » d’autres domaines. La personne intègre la croyance selon laquelle tout effort est vain et elle entre dans l’apathie, se pensant incapable de modifier le cours des choses.
Au cabinet, je rencontre fréquemment des personnes ayant connu une succession d’échecs sentimentaux et considérant qu’elles sont « maudites en amour » et condamnées à rester seules. Les victimes de relations toxiques intériorisent aussi ce sentiment d’impuissance, d’où leur difficulté à en sortir. Le résultat négatif est anticipé au point de ne plus rien tenter même si l’inaction est mal vécue.
A l’origine de l’impuissance apprise, on retrouve toujours une série de refus, d’obstacles ou d’échecs. C’est la répétition qui vient faire le lit du système de croyance par différents biais cognitif : la permanence (« c’est toujours comme ça »), la généralisation (« c’est la même chose dans tous les domaines ») ou encore la personnalisation (« c’est de ma faute »). Au fil de ces évènements négatifs, la personne effectue ce que l’on appelle en psychologie sociale des attributions causales* en sa défaveur. Elles sont soit externes (le sort d’acharne contre elle, c’est le destin, la malchance, c’est écrit…) soit internes (manque de compétence, de courage, de persévérance…) mais toujours perçues comme incontrôlables. La personne n’a plus la capacité de se questionner objectivement quant à cette série d’évènement et ne prend plus en compte les éléments pouvant contredire la croyance. Elle considère son manque de prise sur la situation et son impuissance à faire évoluer les choses comme une fatalité.
Une fois en place, ce sentiment va avoir des conséquences défavorables sur les sphères émotionnelles, cognitives, et comportementales. Le psychologue comportementaliste Seligman a défini trois conséquences principales :
- Une difficulté progressive à faire le lien entre les actions posées et leurs conséquences
- Une baisse de la motivation
- Une augmentation du sentiment de déprime
De manière générale, le sentiment d’impuissance apprise va engendrer une baisse de la confiance en soi, une attitude pessimiste, une difficulté à résoudre les problèmes, un repli sur soi, une faible satisfaction dans les relations aux autres, une anxiété sociale… ce qui va venir renforcer à son tour le système de croyance. Il sape également la capacité à décider, à mobiliser son potentiel mais aussi la possibilité de remettre en question les faits et leurs causes profondes. Les conséquences du sentiment d’impuissance apprise se traduisent donc en termes de déficit : cognitif, émotionnel et motivationnel.
Cependant, il est possible de sortir de ce sentiment d’impuissance apprise en prenant tout d’abord connaissance de son existence et conscience des schémas mentaux en place. Il convient ensuite d’identifier ses atouts et ses points faibles. Bien se connaître permet d’analyser objectivement ses réussites et ses échecs et d’effectuer des attributions causales pertinentes et sources d’apprentissage. Si ça n’a pas marché, pourquoi ? Pourquoi les choses se sont reproduites ? Avais-je pris le temps d’effectuer ce travail d’analyse lors du premier échec ? Comment obtenir un résultat différent ? Quelles sont les ressources que je peux mettre en œuvre dans l’atteinte de cet objectif ? Quels sont les domaines dans lesquels je dois évoluer, apprendre, faire différemment ? Sur quels paramètres puis-je agir ? Quels sont ceux que je ne peux contrôler ? Il s’agit alors d’apprendre à apprendre. La meilleure façon de lutter contre l’impuissance apprise est de voir la situation indésirable comme quelque chose de temporaire, localisé et contrôlable plutôt que comme un problème permanent, global et incontrôlable.
Il est également nécessaire de dédramatiser l’échec et d’opter pour un style cognitif optimiste et actif. La considération du positif au même niveau que le négatif peut être une aide dans ce sens car elle permet de prendre conscience des efforts que l’on déploie, de renforcer le sentiment d’efficacité personnelle et de nourrir une dynamique favorable plutôt qu’un cercle vicieux.
Enfin, l’impuissance apprise est un sentiment qui permet parfois de se dégager de toute responsabilité et d’éviter toute prise de risque. Lutter contre l’idée de la fatalité n’est pas chose facile car cela implique que nous avons un rôle à jouer dans la situation. Il est donc nécessaire d’accepter de se confronter à l’action, aux décisions, aux responsabilités, parfois aux erreurs et déconvenues qui incombent à l’inversion de cette tendance.
Le sentiment d’impuissance apprise constitue donc une croyance limitante dont les conséquences peuvent être nombreuses et délétères. Avec le temps, elles ont tendance à se renforcer en raison de la baisse de confiance en soi, de la culpabilité liée à la passivité et du sentiment d’insatisfaction qui en découle. La connaissance de ce phénomène et l’analyse de ce schéma de pensées constituent un premier pas nécessaire vers la déconstruction de la croyance. Il permettra de se focaliser sur les éléments contrôlables et de restaurer la confiance en à sa capacité à agir sur les évènements.
* Il s’agit d’inférences par lesquelles l’individu explique les évènements et les comportements.
Excellent…
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